RÉFLEXIONS
n° 76 Novembre-Décembre 2021 MÉDECINS | 13
QUEL REGARD PORTEZ-VOUS SUR LES FAITS DE VIOLENCE ENVERS LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ FRÉQUEMMENT ÉVOQUÉS CES TEMPS-CI ?
édiatre retraitée active, j ai tenu à m engager dans la campagne de vaccination dès que
possible. Depuis le mois d avril, je me rends donc régulièrement au centre de vaccination mis en place par la CPTS La Luna de Maubeuge. Je peux témoigner d une évolution de l ambiance de la campagne à partir des annonces du président de la République en juillet. Alors que nous ne recevions jusqu alors que des volontaires soucieux de se pro- téger et de protéger les autres, nous avons soudainement vu arriver des volontaires « contraints » et derniè- rement, ceux qui arrivent sont essentiellement convaincus par la menace au portefeuille. Certains d entre eux étaient très en colère vis-à-vis de ce qu ils estimaient être une atteinte à leur liberté indi- viduelle. À cela s est ajouté parfois un afflux de gens très conséquent dans le centre qui avait la particu- larité d être accessible sans ren- dez-vous. À la clé : un climat tendu, jusqu au clash. Pour ce qui me concerne, j ai été deux fois prise à partie par des personnes qui venaient se faire vacciner, d abord par une dame qui me reprochait de l avoir fait attendre puis par un homme qui m a accusé d être à la solde du gouvernement pour lui injecter du poison dans le corps. Certains de mes collègues se sont quant à eux vu traiter de « collabos ».
ous manquons de données fiables sur cette évolution supposée des violences, même si je pense qu elles sont signalées plus systématiquement. Au-delà des chiffres, il importerait de caractériser les contextes dans lesquels la violence surgit, pour comprendre quels ingrédients l alimentent, produisent le dérapage ou
l escalade. Qui agresse qui, en termes de profil d âge, de sexe, de profession ? Est-on sûr que les médecins soient les plus exposés des soignants ? Et les personnels en première ligne dans les centres de vaccination ou aux urgences ? Aux sources de la colère, les motifs de frustrations sont certainement variés : pouvoir accompagner ou visiter un proche en institution, être prio- risé pour l accès au vaccin, obtenir un certificat ou un arrêt de travail, la programmation d une intervention reportée, etc. Les 18 derniers mois ont sursollicité les ressources d adaptation des soignants comme celles des patients. Le passe sanitaire et la vaccination arrivent après tellement de restrictions de liberté et de confusions dans les messages passés
our l heure, il est encore trop tôt pour affirmer que les violences ont réellement augmenté,
faute de données chiffrées. Ces dernières seront disponibles en début d année prochaine avec la parution du rapport de l Observa- toire de la sécurité des médecins. Mais intuitivement, on peut s at- tendre à des chiffres en hausse, d une part parce que l année 2020 était une année plutôt « calme » en raison de la moindre activité de la plupart des structures de soins (hors Covid) et d autre part parce que de nombreux témoignages dans la presse laissent entendre qu un nombre non négligeable de nos confrères sont confrontés depuis quelques mois à des faits d intimidation et/ou de violence. La raison de cette situation réside, à mon avis, dans l électrisation des débats autour du vaccin et du passe sanitaire dans lesquels les médecins ont pu faire figure de boucs émissaires.
e contexte général est naturellement anxiogène : il réveille les craintes pro- fondes de la maladie et de
la mort et il porte atteinte à plusieurs dimensions cruciales du bien-être telles que nos relations sociales, notre liber- té de circuler ou encore le travail. De plus, le cadre instable et flou, avec des sons de cloche variés relevant pour certains de la médecine spectacle et des changements de recommanda- tions fréquents, a mis la pression sur les médecins qui se sont parfois retrou- vés pris en défaut par manque de temps. Cela a contribué à abaisser le seuil de résistance aux frustrations et a tendu les relations entre les médecins et leurs patients. Ce qui, en temps nor- mal, génère un simple mécontente- ment, déclenche plus facilement des réactions exacerbées. Un refus d arrêt de travail, un rendez-vous tardif, des situations sans réponse de la part du système de santé sont plus suscep- tibles qu avant de donner lieu à des dérapages verbaux, voire physiques. Surtout quand les réserves d énergie du médecin en face sont sérieusement entamées par 18 mois de pandémie
P
N
PL
Dr Solange Moore
Dr Paul Frappé
Géraldine Bloy
Dr Jean-Marcel Mourgues