Your browser is not up to date and is not able to run this publication.
Learn more

D aussi loin qu il s en sou- vienne, Ernst Frei a tou- jours voulu être pilote. « À

6 ans, j ai dit à ma mère : une fois dans ma vie, je voudrais monter dans un Super Constellation . » Il fallait in- lassablement l emmener rêver devant ces machines qui avaient ouvert l ère du transport intercontinental, sûr et confortable. Ses dessins d enfant ? Des Constell ! Mais avec l avènement des avions à réaction, Ernst pensait que lorsqu il serait en âge de tenir des commandes, ce ne serait pas celles de son quadrimoteur préféré. Le des- tin lui donnera tort.

DU PIPER AU JUMBO Le père d Ernst voyage beaucoup pour affaires. Il s absente souvent pour des missions de plusieurs mois à l étranger, en Amérique du Sud, par exemple. Sa mère comprend qu elle ne réfrénera pas la précoce vocation de son fils et s apprête à le voir lui aussi quitter la maison régulièrement. « Dès le début de ma carrière, mon père était fier, ma mère avait peur. » Ne lui en déplaise, Ernst débute à 17 ans sur un Piper, à Porrentruy (Suisse). Il est breveté à 18 ans, « avant le permis de conduire ! », puis entre chez Swissair à 21 ans. La com- pagnie nationale vit alors les grandes heures de l aviation commerciale, per- mettant à Ernst de voler sur les plus

beaux avions de la flotte. Il est le plus jeune copilote sur DC9 à 23 ans, tra- vaille avec un navigateur et ingénieur de bord sur DC8, et devient ensuite commandant de bord sur MD81. Enfin, c est l heure de gloire, le B747, « le top, l objectif de tous les pilotes Swissair à l époque ». Il ajoute à son palmarès le MD11, son premier avion glass cockpit. « Finies les pendules ! » Du moins le croit-il

Vient une douloureuse période pour Ernst, à titre personnel au chevet de son épouse malade, et à titre profes- sionnel lors de la cessation d activité (grounding) de Swissair. En retraite anticipée à 54 ans, il devient com- mandant de bateaux de tourisme sur le lac de Greifensee, puis quatre ans plus tard sur celui de Zurich. « Ma vi- tesse de pointe est passée de 900 à 18 km/h ! » Le juste milieu, il le trouve en croisant la route de l initiateur de la Super Constellation Flyers Associa- tion, Francisco Agullo, qui lui propose le poste de chef des opérations. Un rêve d enfant se réalise. Il retrouve les hélices, les pendules et son cher Connie. 50 ans après la confidence faite à sa mère, non seulement il va monter à bord mais il va surtout pous- ser les 4 manettes.

LE MIRACLE VOLANT Le projet est fou. Remettre un Connie en vol puis en assurer l exploitation régulière. Un premier avion est déni- ché à Saint-Domingue. Mais après avoir terminé la restauration et en- glouti une grande part du budget, l association se voit refuser l immatri- culation américaine pour des vols avec passagers. La bonne étoile veille cependant et guide les amis vers un autre exemplaire, à Los Angeles. Après de gros risques financiers et 4 ans d un travail acharné, le N73544 effectue, du 26 avril au 8 mai 2004,

Après une belle carrière chez Swissair, Ernst Frei est devenu l un des dix pilotes au monde d un avion mythique : le vénérable Super Constellation. Il nous raconte ce qui le fait vibrer, outre les 4 moteurs Wright-Cyclone R-3350 du « Connie ».

« Ma motivation, ce sont les casquettes que les spectateurs agitent.

On voit même des gens pleurer au passage

du Connie ! »

un mémorable convoyage entre Camarillo (en Californie) et Bâle. Il re- çoit l immatriculation Suisse HB-RSC, « un comble quand on sait qu aucune compagnie suisse n avait jamais ex- ploité de Constellation ! C est un mi- racle au quotidien. Notre Connie est le seul qui vole dans le monde. L enthou- siasme collectif et le sponsoring nous ont sauvés. » La mission d Ernst Frei n est pas de tout repos. Il prépare les vols pour les membres à travers l Europe, sélec- tionne les pilotes et hôtesses. L hiver est consacré à la maintenance, 5 à 10 000 heures sont nécessaires pour pouvoir voler 65 heures en été. « C est un énorme travail. À la fin de la saison, je suis épuisé ! Mais je ne cèderais ma place pour rien au monde. Ma récom- pense, c est de voler. Ma motivation, ce sont les casquettes que les specta- teurs agitent. On voit même des gens pleurer au passage du Connie ! » Qui, en effet, n a pas senti son regard se troubler au son reconnaissable entre mille de ces 4 moteurs en étoile, au parfum de l huile en combustion, à la vue de cette silhouette unique à triple empennage ? Oui, Ernst a beaucoup de chance. Au fait, a-t-il emmené sa maman à bord ? « Elle n a jamais voulu, mais elle l a vu voler ! » Et ses enfants ? « J ai deux filles, l une est pilote aux Etats-Unis, l autre a peur en avion ! » n Pascale Nizet

© D

R