Il n y a donc pas d autonomie possible sans confiance ?
Faire confiance est un terme très fort : c est un acte de foi. Le manager doit apprendre à faire ce saut de la confiance, sans quoi il risque de voir déserter ses meilleurs éléments. Bien entendu, cela demande aussi au préa- lable de préparer les gens, de leur donner progressivement des responsa- bilités, sans les lâcher brutalement dans la nature.
Comment l entreprise peut-elle aider le manager à faire confiance ?
Par une réorganisation en profondeur. L organisation traditionnelle du travail est issue des Trente Glorieuses, dans un contexte d expansion sans limite. C était l âge d or des process, fixés pour pouvoir faire toujours plus et plus vite. Aujourd hui, la crise écologique, la raréfaction des ressources, l aspiration collective à mieux vivre incitent les individus à se poser la question du pourquoi , et non plus seulement du comment . On s interroge sur le sens de ce que l on fait et sur le caractère pérenne de son activité. L entreprise est partagée entre la nécessité de donner de l autonomie à chacun, tout en étant parfois un peu frileuse face aux changements qui s imposent. Fonctionnement horizontal, modèle agile, hiérarchie plus accessible si les jeunes entreprises innovantes séduisent
plus, aujourd hui, c est parce que leur modèle leur permet de cultiver l émulation collective, de faire plus facilement table rase de nombreux process passés.
L entreprise de demain sera donc horizontale ou ne sera pas ? Pourtant, n attend-on pas aussi d un manager qu il assume un rôle de leader ?
En effet, et notamment en situa- tion de crise, les salariés déclarent souf- frir de l absence de leadership. Alors, comment trouver le bon équilibre ? Si nous souhaitons être sollicités dans les prises de décision, nous voulons aussi qu une personne légitime décide in fine et se porte garante de l action collec- tive. On assiste en fait à un déplace- ment de la figure de manager-chef à celle de manager-coach . S il détient toujours l autorité hiérarchique et la fonction de prise de décision finale, on attend aussi d un manager qu il prenne le temps de faire grandir ses collabo- rateurs et leur permette de dépasser leurs potentialités.
Finalement, l autonomie au travail nous permet-elle de nous réaliser en tant qu individus ?
Je pense que oui, car elle contribue à une quête de bonheur qui va bien au-delà du simple bien-être. Selon Épicure, le bonheur est l équilibre des plaisirs en dehors de tout aspect poli- tique. Or, cette définition se révèle insuf- fisante, aujourd hui : le moi professionnel fusionne avec le moi citoyen. Aristote disait déjà que l on ne peut être heureux que si l on participe par son action à la cité Je crois que cela est très vrai aujourd hui. La recherche de l autonomie au travail dépasse le simple besoin de pouvoir organiser librement son temps ou de choisir son lieu de travail : elle traduit le besoin de se réaliser en tant qu individu responsable et éclairé. En contribuant aux décisions, en défendant nos convictions, en dessinant un avenir commun, nous faisons l expérience même de la citoyenneté.
Si les jeunes entreprises innovantes séduisent plus, aujourd hui, c est parce que leur modèle leur permet de cultiver l émulation collective.
Deux livres sur le sujet
L Enracinement Simone Weil Dans ce livre rédigé dans les années 1940, Simone Weil décrit le risque encouru par les sociétés individualistes. L engagement dans des collectifs est essentiel pour permettre à la société de s enraciner et de résister face aux pressions totalitaires. Éd. : Champs classiques
L humaine condition Hannah Arendt Cet ouvrage définit les trois états du travail, le labeur comme action répétitive, l œuvre qui produit un résultat tangible, et l action , qui implique de commencer collectivement quelque chose de nouveau. Éd. : Quarto Gallimard
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