DOSSIER
RELATION MÉDECIN- PATIENT : LA LOI KOUCHNER ET 20 ANS D AVANCÉES
L ESSENTIEL
Le 4 mars 2002 est promulguée la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner. Elle est le fruit d un long travail de concertation avec tous les acteurs et de consultation des Français.
Le patient devient un acteur de sa santé grâce à de nouveaux droits : celui d être informé, de prendre part aux décisions médicales qui le concernent, d accéder à son dossier médical. C est la naissance de la démocratie sanitaire.
Vingt ans après, la relation médecin-patient fait face à de nouveaux défis. Comment maintenir la confiance à l heure du numérique ? Comment prendre le temps quand le temps médical se raréfie ? Comment mieux mettre en œuvre la démocratie sanitaire ?
Un débat intitulé « Le colloque singulier : où en est-on 20 ans après la loi Kouchner ? » s est tenu le 29 mars dernier au siège du Conseil national de l Ordre des médecins pour mettre en perspective ce sujet.
Président du Conseil national de l Ordre des médecins
Dr Patrick Bouet
« Ne jamais perdre de vue l indispensable relation de confiance entre le médecin et son patient » La relation patient-médecin n est pas seulement importante, elle est fondamentale pour créer le lien de confiance indispensable au soin. Matérialisée par la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, plus communément appelée loi Kouchner, elle est au cœur de notre métier. À la fois gage de confiance pour les patients et outil de démocratie sanitaire, cette loi, vingt ans après sa promulgation, est plus que jamais d actualité. L Ordre des médecins en défend les principes avec conviction : information préalable, consentement du patient aux soins, renversement de la charge de la preuve Ces fondamentaux sont profondément inscrits dans notre déontologie de médecin. Aussi indispensable qu elle soit, la relation patient-médecin est pourtant régulièrement mise à l épreuve, du fait notamment de la détérioration de notre système de santé. Une des conséquences de cette triste évolution : nous, médecins, manquons de temps. Dans les situations de tension sociétale que nous vivons quotidiennement, il faut préserver la qualité de la communication entre le professionnel de santé et le patient. En parallèle, les progrès techniques et numériques rebattent les cartes de notre métier. S ils sont, pour certains, précieux et d une aide certaine, ils ne doivent rester que des outils. L Ordre l a dit et le répète : la technologie ne remplacera jamais la capacité du médecin à accompagner ses patients, avec humanité et empathie. Face à ces défis, il est plus que jamais primordial de rappeler, préserver, défendre les principes posés par la loi Kouchner. À nous d inventer l organisation la plus à l écoute, la plus humaine et la plus sereine possible. Pour que jamais ne soit perdue de vue l indispensable relation de confiance entre le médecin et son patient.
L a relation médecin-patient est un colloque singulier qu aucune loi, avant le 4 mars 2002, n avait encadré. Dans un contexte de montée en puissance des asso-
ciations de patients, et à l issue d un long travail de construction et de concertation, la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner, est venue chambouler l exercice de la médecine et ouvrir la porte de la démocratie en santé.
LINA WILLIATTE, avocate au barreau de Lille, maître de conférences à la faculté de droit de Lille et vice- présidente de Société française de santé digitale
En droit, avant la loi du 4 mars 2002, la relation de soins relevait du régime de droit commun, qui s applique dans les relations entre les personnes privées. Cette loi crée un régime spécifique aux relations médicales. Pour nous juristes, c est un point fondamental. J enseigne cette loi en faculté de médecine et je me rends compte que les étudiants ne lui donnent pas de sens. Ils y voient une obligation, un droit, une responsabilité. Quand ils sont médecins, ils découvrent la loi mais souvent sous le mauvais angle en raison d un contentieux. Aujourd hui, on rajoute à cette loi tout un aspect numérique avec un cadre réglementaire nouveau. Ces nouveaux textes ne changent pas les obligations du médecin, mais en ajoutent un certain nombre. Je vois encore certains professionnels de santé découvrir qu ils n ont pas le droit d utiliser leur mail non sécurisé. Il est vrai que, parfois, ce sont les patients qui en font la demande, mais les médecins sont tenus par la loi et le code de déontologie au secret professionnel. Le numérique crée une nouvelle relation de soin, mais les obligations des professionnels demeurent celles de la loi du 4 mars 2002. Le numérique n a pas vocation à remplacer la relation physique. La relation de soin est avant tout une relation de confiance physique. Néanmoins, le numérique peut apporter quelque chose de plus, compléter la relation.
TÉMOIGNAGE
« Le numérique crée une nouvelle relation de soin, mais les obligations des professionnels demeurent celles de la loi du 4 mars 2002 »
Il y a 20 ans, la loi Kouchner transformait le rôle du patient : de sujet passif, il devenait un acteur de sa santé. Cette métamorphose de la relation médecin-patient est toujours à l œuvre, et doit aujourd hui faire face à de nouveaux défis.
Quelle connaissance ont les médecins et les patients de la loi Kouchner ? L Ordre national a mené une enquête sur le sujet pour évaluer l appropriation de la loi. Il apparaît qu une bonne moitié des patients (54 %) disent ne pas connaître la loi Kouchner. Quant aux médecins, alors que la question ne leur était volontairement pas posée, ils sont 6 % à avoir spontanément répondu qu ils ne la connaissaient pas. Parmi les autres, un tiers l ont connue par leur formation initiale, et plutôt lors des stages qu en formation théorique, et 21 % l ont connue de façon autre, essentiellement par les médias.
CONNAISSEZ-VOUS LA LOI KOUCHNER ?
La relation médecin-patient, c est le fondement même de notre exercice, sans elle, le soin n existe pas et l Ordre a pour mission de la défendre. Voilà pourquoi les 20 ans de la loi Kouchner sont si importants. La commission que je préside a souhaité en faire le bilan 20 ans après au moyen d un rapport pour lequel nous avons interrogé les associations de patients, mais aussi les médecins car cette relation est mixte. Le Conseil national a déjà beaucoup fait pour faire connaître cette loi, notamment par l intermédiaire de ses bulletins à destination des médecins. Sur le site du Cnom sont également accessibles des fiches synthétiques sur chaque sujet, permettant de trouver les réponses à beaucoup de questions. Et sur la base de notre rapport, nous serons à même de produire des documents complémentaires pour aider les médecins à mieux connaître cette loi. Pour faire suite à ce bilan, je voudrais souligner les difficultés d accès aux soins que rencontrent les personnes en situation de handicap. Même si 61 % des médecins interrogés estiment avoir fait des efforts, il y a un ressenti et un vécu du côté des patients qui obligent à faire mieux. Par ailleurs, si la formation à l empathie et une prise en charge plus humaine du patient ont été demandées par les patients, les médecins, qui ont une vocation à vouloir aider, soutenir et apporter du soin à leurs patients, ont demandé à retrouver plus de temps médical à leur consacrer. Enfin, le principal défi à venir va être de transposer la loi Kouchner dans une relation où le numérique prend de plus en plus de place. Rendez-vous dans 10 ans pour faire le bilan !
LE POINT DE VUE DE L ORDRE
« Le Conseil national a déjà beaucoup fait pour faire connaître cette loi »
DR CLAIRE SIRET, médecin généraliste et présidente de la Commission de relation avec les associations de patients et d usagers du Cnom
L ARRÊT PERRUCHE
Le 17 novembre 2000, la Cour de cassation a admis qu un enfant né handicapé pouvait lui-même demander réparation du préjudice résultant de son handicap lorsque sa mère a été privée, à la suite d une faute médicale, de la possibilité de recourir à une interruption de grossesse. Dans cette affaire, des fautes commises par le médecin traitant et le laboratoire d analyses ont faussement porté une femme enceinte à croire qu elle était immunisée contre la rubéole, alors qu elle avait expressément manifesté sa volonté de recourir à une IVG si elle n était pas immunisée. Son enfant est né lourdement handicapé. L article 1er de la loi du 4 mars 2002 fait référence à cet arrêt en déclarant que « nul ne peut se prévaloir d un préjudice du seul fait de sa naissance ».
Parmi les droits nouvellement consacrés, on peut retenir le consentement du pa- tient aux soins et la nécessaire infor- mation préalable ainsi que l entrée dans la loi du renversement de la charge de la preuve. C est désormais au praticien de montrer qu il a bien informé le patient. La loi de 2002 introduit aussi pour le patient un droit d accès direct à son dossier mé- dical ainsi que le droit d être accompagné
d une personne de confiance lors d une consultation. La vo- lonté du texte est claire : le paterna- lisme médical doit faire place à l au- tonomie de l usager de la santé. Vingt ans ont pas- sé et les fondamen-
taux de la loi Kouchner sont toujours d une grande modernité. Néanmoins, si la rela- tion médecin-patient a évolué, plusieurs défis sont encore aujourd hui à relever. À commencer par celui d une meilleure connaissance de la loi, du côté des pa- tients mais aussi des médecins. Certains l ont étudiée, sans toujours en saisir l es- sence, au cours de leurs stages, d autres l ont connue par les médias, quand d autres ne la connaissent tout simplement pas. Par ailleurs, la place grandissante du nu- mérique dans la société questionne la relation de soin. Comment maintenir la relation de confiance entre médecins et patients à l heure des consultations à distance par écran interposé ? Comment garantir la confidentialité des échanges et des données avec la menace d une cyberattaque ? Dans le même temps, le numérique peut être un outil créateur de lien entre médecins et patients, re- mettre le patient au centre du parcours de soins comme le prévoit « Mon espace santé », ou libérer du temps médical. Car la question du temps médical, dont les mé- decins manquent trop souvent, met aus- si la relation médecin-patient à l épreuve. Comment permettre que les décisions soient en fait des codécisions si le temps manque pour en exposer les enjeux ? Com- ment permettre un compagnonnage réel auprès des médecins en formation quand les temps calmes n existent plus à l hôpi- tal ? Comment dans ce contexte prendre le temps nécessaire à la bonne prise en charge des patients présentant des spé- cificités, et notamment les personnes en situation de handicap ? Plusieurs pistes existent. Celle du travail en équipe pour accompagner un patient. Celle d une meil- leure interaction entre sachants scienti- fiques et profanes. Celle d une formation renforcée à l empathie comme à la prise en charge humaine du patient. Le débat est vaste, toujours d actualité, au cœur de l exercice de la médecine, preuve que 20 ans après, la loi Kouchner n a rien perdu de sa pertinence.
« C EST DÉSORMAIS AU PRATICIEN DE MONTRER QU IL A BIEN INFORMÉ LE PATIENT. »
MÉDECINS n° 79 Mai-juin 2022