n° 81 Sept.-oct. 2022 MÉDECINS | 1312 | MÉDECINS n° 81 Sept.-oct. 2022
RÉFLEXIONS
COMMENT EXPLIQUER UNE TELLE HAUSSE ?
a situation n était déjà pas brillante avant la pandémie, avec des dif- ficultés de prise en
charge liées à un manque de moyens. Mais la crise de la Covid- 19 a eu un effet propre, notam- ment en créant une rupture dans la scolarité. Les élèves ont été en distanciel, ils ont dû porter des masques, ne pas trop se rappro- cher, ce qui est très difficile pour un enfant. Lors des confinements, on a observé une augmentation de la maltraitance au sein de la famille. À cela s est ajouté le stress lié à la pandémie. Il fallait s enfer- mer, laver les courses pour ne pas être contaminé Les enfants étaient inquiets de la situation économique de leurs parents. Sans compter le sentiment d abandon ressenti par de nombreux jeunes, l impression que les adultes n étaient pas fiables. Ceux qui sont concernés par la hausse des gestes suicidaires étaient déjà fragiles. Or, le suivi de certains enfants et adolescents a été inter- rompu. Il y a aussi eu un manque de dépistage, à la fois en milieu scolaire, puisque les jeunes res- taient chez eux, et dans le système médical en général, qui était débordé.
epuis quelques années, les jeunes ont une image très sombre de leur avenir : les infor-
mations (sur la santé, l économie, le climat, le terrorisme ) sont catastrophiques. Lorsqu elles passent par les seuls outils numé- riques, les relations sociales cessent dès que tous les écrans sont éteints, ce qui crée un iso- lement dont les jeunes n ont pas toujours conscience. Or, l adoles- cence est une période de tur- bulences qui nécessite un cadre protecteur et du lien social. La crise de la Covid-19 a aggravé le mal-être des jeunes. Durant deux ans, ils ont été mis face à la réa- lité de la mort. Le premier confi- nement a aggravé leur isolement, le chômage et mis à mal les familles. Cette période très défa- vorable dure aujourd hui avec la guerre. Ce contexte crée un sen- timent d insécurité très dépres- sogène. Les jeunes ont assisté, impuissants, à la destruction de tous les piliers structurant leur avenir, leurs projets, leur person- nalité S ajoute à cela une plus grande exposition à la violence menant à une certaine banalisa- tion de celle-ci. Alors, mal enten- dus, sans repères et dénués d es- poir, le geste suicidaire devient pour eux un moyen d expression de leur mal-être.
n observe une hausse lar- vée depuis longtemps. S il y a eu une augmentation récente assez nette, elle
est vraisemblablement en rapport avec les contraintes du confine- ment. Les gestes suicidaires sont liés à une combinaison de facteurs où prédomine la qualité des liens familiaux et amicaux. Autrement dit, il est nécessaire de s inquiéter de l ambiance à la maison, dans la cour de récré et sur les réseaux sociaux. Or, le confinement a modi- fié cette structure. Il y a eu une hausse manifeste des contraintes dans les liens familiaux avec un éloignement des liens amicaux pré- sentiels parallèlement à une solli- citation massive des liens sur les réseaux sociaux. Or, si les tensions dans les relations sociales peuvent être régulées en tête-à-tête à la récré, c est autre chose sur les réseaux sociaux, où tout s emballe très vite. De la même façon, les conflits à la maison pouvaient s apaiser par le bref éloignement scolaire. De façon générale, les chiffres des gestes suicidaires des adolescents sont en France parmi les plus élevés en Europe. Les explications simplistes n existent pas, mais on peut s interroger sur l atomisation progressive du tissu familial et social dans notre pays.
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Pr Jean- Philippe Raynaud
Dr Claire Siret
Pr Philippe Binder