n° 82 Novembre-décembre 2022 MÉDECINS | 2120 | MÉDECINS n° 82 Novembre-décembre 2022
Les contours ne sont pas nets. Où s arrête le bien-être, où commence la santé ? C est la sémantique qui fait la dérive. Tout dépend en fait du but recherché et des allégations faites. C est d abord une question de langage. Si je recommande à un patient atteint d un cancer d aller faire des promenades en forêt ou de pratiquer le yoga, je peux effectivement lui faire du bien. Si je lui propose la même chose en substitution à sa chimiothérapie, je le condamne. Ce n est ni le yoga ni la balade en forêt qui constituent une dérive, mais bien la place qu on leur donne, le pouvoir qu on leur attribue. Cela rend le délit d exercice illégal de la médecine parfois difficile à caractériser.
Je vois bien, en tant que médecin généraliste, que le temps de la consultation est de plus en plus réduit. Nous avons de moins en moins la possibilité de converser avec nos patients. Ils sont par ailleurs de plus en plus isolés, soumis à un flot d informations et de désinformation continu. Internet a largement augmenté la visibilité des charlatans et des offres de traitement miraculeux. Par ailleurs, la pandémie de Covid-19, les débats qu elle a suscités et le traitement de ces débats par les médias ont mis à mal la crédibilité du discours scientifique, ramené à une querelle d opinion. Cela a conduit à une diabolisation de la science et de la médecine, et à une défiance vis-à-vis des médecins. Le rapport de la Miviludes qui vient de paraître confirme cet état de fait. Tout cela a donné un large espace à tous ceux qui proposent des solutions magiques. En tant que médecin, nous devons, malgré les difficultés que nous rencontrons tous, tâcher de retrouver l écoute de nos patients.
Une dérive thérapeutique est définie comme une pratique non fondée sur les données actuelles de la connaissance scientifique. Évidemment, ces dérives doivent être évitées. Mais ce concept interroge aussi sur nos pratiques. Car il nous arrive parfois de proposer un traitement complémentaire dans certaines situations. Je pense qu il faut rester vigilant tout en faisant confiance aux médecins, qui doivent rester libres de prescrire ce qu ils jugent le plus approprié selon les circonstances. En revanche, il n est pas possible de laisser des pratiques non éprouvées scientifiquement se substituer à un traitement efficace.
AU QUOTIDIEN
DR CLAIRE SIRET, médecin généraliste et présidente
de la section Santé publique du Cnom
COMMENT DÉFINISSEZ-VOUS, AU-DELÀ DU CADRE JURIDIQUE, LES DÉRIVES THÉRAPEUTIQUES ? COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS L ENGOUEMENT
POUR LES PRATIQUES NON CONVENTIONNELLES À VISÉE THÉRAPEUTIQUE ?
COMMENT FIXER LA LIMITE ENTRE BIEN-ÊTRE ET SANTÉ ?
DOSSIER