34 | MÉDECINS n° 74 Juillet-Août 2021
PORTRAIT
J ai suivi un parcours classique d études en médecine avec une spécialisation en psy- chiatrie et j ai exercé une trentaine d années dans des hôpitaux de la région parisienne,
des CMP et dans un cabinet privé. Je me suis aussi formé à la psychothérapie et, plus tard, à l hypnose. Il m a semblé essentiel en effet de fonder la thé- rapie sur le sentir plutôt que sur l interprétation, chère à la psychanalyse, et sur la prise en compte du corps, ici et maintenant. Par cette approche, je souhaitais donner aux patients le moyen d agir eux- mêmes pour leur mieux-être et de gagner en au- tonomie, sans toujours recourir aux médicaments. Parallèlement, je me suis passionné pour l histoire de la médecine et de la psychiatrie. C est ainsi que j ai croisé l histoire de Victor, l enfant sauvage de l Aveyron grâce à ma rencontre avec le Dr Thierry Gineste, psychiatre spécialiste de ce cas. C est lui qui m a suggéré de faire ma thèse sur l histoire de l Institut des jeunes sourds de Paris. Ce pas de côté par rapport à la psychiatrie me correspondait car je me suis toujours intéressé à la question des normes sociales. Très tôt je m étais interrogé sur ma propre place dans l organisation encore asilaire des soins psychiatriques, vectrice de violence et d oppression. En remontant l histoire de l Institut, j ai découvert
une communauté discriminée, exclue de fonctions et de lieux sociaux, une minorité linguistique dont la langue, celle des signes, avait été interdite dans l enseignement pendant près d un siècle, jusqu en 1976. Paradoxalement, c est l épidémie du sida qui a fait avancer la prise en charge médicale des sourds. Le sida, dont beaucoup de sourds sont morts, a fait prendre conscience de l abandon dans lequel ils étaient laissés, faute de comprendre les messages de prévention et de pouvoir communiquer avec les soignants. Progressivement, des initiatives ont vu le jour comme les associations AIDES Groupe Sourds1, GESTES2 et RAMSES3, puis l ouverture officielle en 1996 de la première Unité d informations et de soins des sourds à la Salpêtrière, avec des praticiens connaissant la langue des signes, des interprètes et des professionnels de santé sourds. J en ai assuré la coordination d abord à mi-temps, puis à plein temps. Aujourd hui, si j ai cessé d exercer la médecine, je reste très actif dans le domaine de la surdité, avec ma participation, notamment, aux travaux du réseau du Groupe Addiction Sourds4. »
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« JE ME SUIS TOUJOURS INTÉRESSÉ À LA QUESTION DES NORMES SOCIALES »
PARCOURS
1982 Thèse de médecine : « L Institut des jeunes sourds de Paris, de 1790 à 1800. Histoire d un corps à corps ». 1989 Organise l exposition « Le pouvoir des signes » à la chapelle de la Sorbonne. 1991 Ouvre sa consultation aux personnes sourdes. À partir de 2000 Consulte à l Unité d informations et de soins des sourds (hôpital Pitié- Salpêtrière).
Texte : Béatrice Jaulin | Photo : DR
Psychiatre et praticien hospitalier honoraire, ancien responsable de l Unité d informations et de soins des sourds à la Pitié-Salpêtrière
Dr Alexis Karacostas
1. www.facebook.com/groupesourdsaides 2. Groupe d études spécialisé « Thérapies et Surdités » 3. Réseau d actions médico-psychologiques et sociales
pour enfants sourds 4. www.sign-care.org